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L’Union Africaine au-delà d’Addis-Abeba : cartographie d’une architecture décentralisée au service de l’Agenda 2063

Introduction

Quand on évoque l’Union Africaine (UA), c’est souvent l’image du siège d’Addis-Abeba (Éthiopie) qui vient à l’esprit : un haut lieu de diplomatie panafricaine, symbole d’unité et de solidarité continentale. On y retrouve la Commission de l’UA, véritable bras exécutif de l’organisation, le Conseil de Paix et de Sécurité, ainsi que plusieurs directions stratégiques qui impulsent et coordonnent l’action quotidienne de l’Union. Mais réduire l’UA à Addis-Abeba serait passer à côté de l’essentiel. En réalité, l’Union déploie une architecture institutionnelle décentralisée, répartie dans plusieurs capitales africaines. Ces organes et institutions spécialisés ne sont pas de simples annexes administratives : ils sont les piliers vivants de la Vision 2063, la feuille de route ambitieuse qui projette une Afrique intégrée, prospère et en paix. Chacun de ces centres incarne une facette de l’avenir que nous voulons bâtir : justice, sécurité, prospérité, identité culturelle, intégration économique. Ensemble, ils rappellent que le panafricanisme institutionnel ne se vit pas seulement à Addis-Abeba, mais qu’il s’exprime à travers une géographie plurielle d’expertises et de leaderships au service du continent. Quelques chiffres pour donner du relief à cet état des lieux :
  • plus de 600 millions d’Africains vivent encore sans accès à l’électricité, freinant directement la croissance et l’inclusion ;
  • le continent représente déjà près de 17 % de la population mondiale mais seulement 3 % du commerce international, un déséquilibre que la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), rattachée à l’Agenda 2063, cherche à corriger ;
  • près de 30 conflits armés et crises politiques majeurs affectent directement la stabilité et la sécurité de plusieurs régions ;
  • L’Afrique reçoit aujourd’hui près de 100 milliards USD par an de remises de ses diasporas, une source stable de financement externe qui rivalise ou dépasse souvent l’aide au développement traditionnelle ;
  • Dans cette contribution financière, l’importance des transferts est passée d’environ 3,6 % à 5,1 % du PIB sur la décennie passée, soulignant à quel point ces flux comptent dans l’économie réelle du continent ;
  • L’UA compte 55 États membres, tous engagés dans l’agenda commun de l’Agenda 2063, ce qui renforce la légitimité de ces institutions décentralisées comme points de convergence pour des politiques continentales cohérentes.
Ces statistiques montrent que les institutions de l’UA hors d’Addis-Abeba ne sont pas seulement symboliques : elles sont essentielles dans la dynamique actuelle où chaque ressource, chaque mécanisme d’action nationale ou régionale compte.

Pourquoi ces organes de l’UA nous concernent tous

La création de l’Union Africaine en juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud), en remplacement de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), a marqué une volonté politique forte : passer d’un cadre essentiellement diplomatique à une architecture plus intégrée, orientée vers l’action et les résultats. C’est dans ce contexte qu’a été conçu l’Agenda 2063 – « l’Afrique que nous voulons », adopté en janvier 2013 par le sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UA, comme plan directeur et schéma directeur de l’Afrique pour le développement durable et la croissance économique du continent sur une période de 50 ans. Ce document visionnaire trace ainsi la feuille de route d’une Afrique unie, prospère, en paix et influente sur la scène internationale. L’Agenda 2063 n’est pas une déclaration de principe : il est un cadre de référence continental, structuré autour de sept aspirations, qui donnent cohérence et direction à l’ensemble des politiques, initiatives et institutions de l’UA. Chacune des institutions, qu’elles soient à Addis-Abeba ou ailleurs sur le continent, traduit une partie de ces aspirations en mécanismes concrets. Dix ans après son adoption, les premiers bilans issus de la mise en œuvre de son premier plan décennal (2014-2023), montrent que si des avancées existent, de nombreux défis demeurent. Par exemple, selon l’UA, seulement 32 % des cibles de l’Agenda 2063 à l’horizon 2023 ont été pleinement atteintes, et près de 50 % sont encore en cours de mise en œuvre. Ces chiffres soulignent l’importance de renforcer l’appropriation des institutions continentales pour accélérer les résultats. Dans un contexte de réduction des appuis financiers extérieurs et de crise du multilatéralisme, où les organisations internationales font face à une défiance inédite et à des formes de propagande qui fragilisent leur légitimité, ces organes de l’UA apparaissent comme des outils crédibles sur lesquels ces institutions doivent s’appuyer. Ils constituent sans doute l’un des derniers remparts permettant de défendre une vision collective africaine, indépendante et adaptée aux réalités du continent. Pour les acteurs nationaux, régionaux et non étatiques, le défi est clair :
  • se rapprocher de ces institutions et de leurs mécanismes ;
  • développer des synergies avec les cadres déjà établis, afin de renforcer l’efficacité des interventions ;
  • minimiser la duplication des efforts, dans un contexte où chaque ressource compte ;
  • s’approprier ces dispositifs continentaux, afin que l’Agenda 2063 ne reste pas un idéal lointain mais devienne une réalité vécue par les populations.
En somme, il s’agit de comprendre que ces organes de l’UA ne sont pas de simples structures techniques. Ils représentent des leviers importants pour maximiser l’impact des politiques publiques et des initiatives citoyennes, et doivent être intégrés dans toute stratégie de développement ou de coopération menée sur le continent.

Les institutions hors Addis-Abeba : une géographie du panafricanisme en action

Algérie (Alger)

Alger abrite deux institutions stratégiques de l’Union Africaine, toutes deux au cœur des questions de sécurité et de stabilité, conditions indispensables à la réalisation de l’intégration africaine. Le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (CAERT) constitue une véritable plateforme continentale : il collecte et analyse les données relatives au terrorisme, coordonne les politiques des États membres et propose des formations spécialisées. Sa mission s’inscrit directement dans l’Aspiration 4 de l’Agenda 2063 (une Afrique en paix et sécurisée), en renforçant la capacité du continent à anticiper et neutraliser les menaces qui fragilisent la stabilité politique et économique.

À ses côtés, AFRIPOL (Mécanisme africain de coopération policière), conçu comme un équivalent africain d’Interpol, facilite la coopération policière entre les États membres face à la criminalité transnationale organisée, à la cybercriminalité et aux trafics illicites. Il poursuit la même aspiration de l’Agenda 2063 en favorisant la confiance mutuelle, le partage d’informations et la mise en place de réponses coordonnées aux défis sécuritaires qui touchent de nombreuses régions du continent.

En accueillant le CAERT et AFRIPOL, Alger se positionne normalement comme un véritable hub sécuritaire continental, un lieu où s’élabore la vision d’une Afrique capable de relever ses propres défis sécuritaires. Ces deux institutions traduisent une réalité fondamentale : sans paix, aucune prospérité durable n’est possible, et l’Agenda 2063 resterait une promesse inachevée.

Tanzanie (Arusha)

À Arusha, se trouve l’une des institutions les plus emblématiques du continent : la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette juridiction continentale a la responsabilité de rendre des décisions contraignantes qui protègent les droits fondamentaux des citoyens africains, conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Son rôle s’inscrit pleinement dans l’Aspiration 3 de l’Agenda 2063 (une Afrique de bonne gouvernance, de démocratie, de respect des droits de l’homme, de justice et de l’État de droit). En assurant la primauté du droit, en offrant un recours face aux violations et en renforçant la confiance des citoyens dans les institutions, la Cour contribue à bâtir une Afrique où la justice n’est pas un idéal lointain, mais une réalité tangible.

La Tanzanie, par cette institution, devient un point d’ancrage continental de la justice africaine, un pilier indispensable pour consolider la démocratie, prévenir les abus et rapprocher l’Union de ses peuples.

Mali (Bamako)

Bamako abrite l’Académie africaine des langues (ACALAN), une institution unique de l’Union Africaine chargée de promouvoir, développer et valoriser les langues africaines. Sa mission dépasse largement la sauvegarde symbolique du patrimoine linguistique : elle vise à transformer les langues du continent en outils de développement, d’éducation, d’intégration et d’innovation.

L’ACALAN s’emploie d’abord à préserver les langues autochtones menacées. Selon l’UNESCO, près de 40 % des langues africaines risquent de disparaître d’ici la fin du siècle si aucune mesure n’est prise. En documentant, revitalisant et protégeant ces langues, l’Académie lutte contre l’érosion d’un pan essentiel de l’identité et de la mémoire collective du continent.

Dans le même temps, l’Académie s’inscrit dans la modernité en travaillant à la numérisation des langues africaines. À l’ère de l’intelligence artificielle et du numérique, il ne s’agit plus seulement de protéger des langues parlées, mais de les doter d’outils technologiques leur permettant d’exister dans les systèmes d’écriture normalisés, les claviers, les applications et les plateformes d’IA. La présence des langues africaines dans ces environnements numériques est une garantie de leur vitalité et de leur transmission aux générations futures.

L’ACALAN milite également pour la reconnaissance progressive des langues africaines comme langues de travail dans l’éducation, l’administration, la recherche et les institutions régionales. Cette ambition s’aligne avec l’Aspiration 5 de l’Agenda 2063 (une Afrique dotée d’une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun, de valeurs et d’une éthique). L’objectif n’est pas de stigmatiser les langues étrangères, qui sont devenues elles aussi un patrimoine africain au regard du nombre de locuteurs et de leur portée internationale, mais plutôt de bâtir un multilinguisme inclusif où les langues africaines trouvent leur place légitime aux côtés des langues mondiales.

Enfin, l’Académie contribue à renforcer l’intégration régionale et la cohésion sociale en promouvant les langues comme vecteurs de communication et de rapprochement entre les peuples. Elle rappelle que la diversité linguistique, loin d’être un obstacle, peut devenir une force d’unité, d’innovation et de souveraineté culturelle pour l’Afrique.

L’ACALAN incarne ainsi une conviction claire : l’avenir du continent ne pourra se construire sans ses propres langues, modernisées, outillées et intégrées aux dynamiques mondiales.

Gambie (Banjul)

Banjul accueille la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), souvent appelée la « conscience juridique du continent ». Sa mission principale est de promouvoir, protéger et interpréter la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée en 1981.

Son action s’inscrit directement dans l’Aspiration 3 de l’Agenda 2063 (une Afrique de bonne gouvernance, démocratie, respect des droits de l’homme, justice et État de droit). La Commission veille à ce que les États membres respectent leurs engagements en matière de libertés fondamentales, d’égalité et de dignité humaine. Elle examine des rapports, traite des plaintes individuelles ou interétatiques, et effectue des visites dans les pays afin de promouvoir une culture des droits humains.

La CADHP symbolise l’importance d’une justice préventive et promotionnelle, qui complète le rôle de la Cour africaine d’Arusha. C’est un maillon essentiel pour accompagner les États, alerter sur les dérives et rappeler que les droits humains ne sont pas seulement une exigence morale, mais une condition sine qua non pour réaliser les ambitions de l’Agenda 2063.

Afrique du Sud (Midrand)

À Midrand, près de Johannesburg, se trouvent deux institutions phares de l’Union Africaine. Le Parlement panafricain (PAP), conçu comme la voix des peuples africains, incarne la volonté de rapprocher l’Union de ses citoyens. Son mandat s’inscrit dans l’Aspiration 3 de l’Agenda 2063 (une Afrique de bonne gouvernance, démocratie, respect des droits de l’homme). À travers ses sessions et résolutions, le PAP promeut la participation citoyenne, la transparence et la redevabilité, autant de principes essentiels pour bâtir une intégration continentale solide.

Aux côtés du Parlement, l’Agence de Développement de l’Union Africaine (AUDA-NEPAD) joue le rôle de véritable bras opérationnel de l’Agenda 2063. Elle pilote les grands programmes de transformation du continent, en mettant l’accent sur des priorités telles que les infrastructures, l’agriculture durable, l’innovation, l’éducation et la santé. Son action s’ancre dans l’Aspiration 1 (une Afrique prospère, fondée sur une croissance inclusive et un développement durable) et dans l’Aspiration 2 (un continent intégré). En coordonnant des projets structurants et en mobilisant des partenariats, l’AUDA-NEPAD traduit la vision panafricaine en actions concrètes et mesurables.

Ensemble, ces deux institutions illustrent la double dynamique de l’Agenda 2063 : bâtir une Afrique forte par ses citoyens et solide par ses investissements dans l’avenir.

Kenya (Nairobi)

Nairobi accueille deux institutions qui traduisent parfaitement la dimension économique et sociale de l’Agenda 2063, en plaçant la prospérité partagée au cœur de leur mandat. Le Bureau interafricain des ressources animales (IBAR), spécialisé dans la santé animale, la productivité de l’élevage et la gestion des ressources liées au bétail, joue un rôle central pour la sécurité alimentaire et le commerce régional. Son action contribue directement à l’Aspiration 1 de l’Agenda 2063 (une Afrique prospère, fondée sur la croissance inclusive et le développement durable). En renforçant les systèmes vétérinaires et en soutenant les chaînes de valeur de l’élevage, l’IBAR aide à transformer un secteur vital pour des millions d’Africains en véritable moteur de croissance.

À ses côtés, l’Institut africain pour les transferts de fonds (AIR) est né de la nécessité de valoriser les envois de fonds des diasporas africaines. Il vise à réduire les coûts de transfert et à maximiser leur impact sur le développement. Là encore, son mandat s’inscrit dans l’Aspiration 1, en mobilisant une ressource financière stratégique : les rémittences, qui dépasse souvent l’aide publique au développement. En capitalisant sur la force des diasporas, l’AIR illustre la volonté de bâtir une prospérité endogène et durable.

Avec l’IBAR et l’AIR, Nairobi s’affirme comme le véritable centre de solutions économiques et sociales, où se dessine l’avenir d’une Afrique capable de nourrir ses populations et de transformer les contributions de ses fils et filles de la diaspora en leviers puissants de développement.

Cameroun (Yaoundé)

Yaoundé est le siège du Conseil sportif africain (AUSC), l’organe de l’Union Africaine chargé de promouvoir le sport comme outil d’intégration, de jeunesse et de paix. L’AUSC coordonne les politiques sportives continentales, organise des compétitions panafricaines et œuvre pour que le sport devienne un véritable levier de développement social et économique.

Son mandat s’inscrit dans l’Aspiration 5 de l’Agenda 2063 (une Afrique dotée d’une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun, de valeurs et d’une éthique). Par le sport, l’AUSC contribue à renforcer le sentiment d’appartenance à une identité africaine commune, à valoriser les talents de la jeunesse et à favoriser la cohésion sociale.

Au-delà de la compétition, l’AUSC incarne une vision : celle d’un sport au service de la paix, du dialogue interculturel et de l’intégration. Il fait du Cameroun un point focal continental où se construit l’unité africaine à travers l’énergie et la créativité de sa jeunesse.

Conclusion : s’approprier nos institutions pour bâtir l’Afrique de demain'

L’Union Africaine n’est pas qu’un siège à Addis-Abeba. Elle vit et agit à Bamako, Banjul, Arusha, Midrand, Alger, Nairobi, Yaoundé… Autant de capitales qui incarnent, chacune à leur manière, un pan de l’Agenda 2063. Droits humains, justice, sécurité, prospérité économique, identité culturelle, jeunesse : chaque organe traduit en actes une partie de la vision continentale.

Face aux défis d’aujourd’hui : crises sécuritaires, réduction des financements, fragilisation du multilatéralisme, ces institutions constituent des outils crédibles, neutres et essentiels. Leur rôle est d’autant plus important qu’elles offrent aux acteurs africains un cadre pour travailler ensemble, éviter la duplication des efforts et développer des synergies porteuses de résultats.

Mais leur efficacité dépend aussi de nous. Décideurs politiques, experts, chercheurs, ONG, jeunes leaders : il nous appartient de nous rapprocher de ces mécanismes, de les utiliser, de les renforcer. Car une Afrique intégrée ne se décrète pas uniquement dans les sommets. Elle se construit pas à pas, par l’appropriation collective des institutions déjà mises en place.

L’Agenda 2063 est une boussole. Ces organes en sont les leviers. Et c’est à travers eux que nous pouvons transformer une vision en réalité et donner à l’Afrique les moyens de son avenir.

Bibliographie

  • Union Africaine (UA) (2023). Overview – Présentation générale et nombre d’États membres.
  • Afridigest (2024). Diaspora Remittances Africa: $100 Billion Opportunity.
  • Institute for Security Studies (ISS) Futures (2025). Rethinking Remittances: The Overlooked Billions Sustaining African Households.
  • Union Africaine (UA) (2023). Agenda 2063 – First Ten-Year Implementation Plan: Continental Performance and Lessons Learned Report.
  • Union Africaine (UA) (2022). Budget Framework Paper 2023.
  • African Development Bank (AfDB) (2024). African Economic Outlook 2024.
  • United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD) (2023). Economic Development in Africa Report 2023.
  • Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) (2024). SIPRI Yearbook 2024

Auteur: M. Hamaya AG-ABDOULAYE

Spécialiste en politiques et pratiques

du développement, Gestionnaire

Data scientiste et mathématicien

Site Web : https://hamayaag.com

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